mardi 22 mars 2016

Témoignage à lire


L'argent appelle l'argent.

— Ça y est, nous allons être riches ! C'est notre tour de rêver d'une grande maison ! Que dis-je, d'avoir une grande maison avec de l'espace, de grandes chambres, plusieurs salons, des espaces verts et bien entendu, une grande piscine… C'étaient les propos de mon père ce vendredi soir. Il avait été rarement aussi joyeux. Les raisons du rêve et de l’euphorie de mon père étaient toutes simples. Son ami et frère venait tout juste de lui montrer les merveilles d'une nouvelle société d’épargne et de placement d'argent qui générait des intérêts qu’aucun autre établissement financier n’osait imaginer. Ce n'était pas la première fois qu'il venait titiller mon père ; à chaque fois qu'il avait touché ses gains ou ses intérêts sur son capital placé, il venait montrer à mon père les preuves que c'était une affaire qui marche. Mon père, de nature méfiante, avait toujours été sur ses gardes, craignant une arnaque. Cela faisait presque deux ans que notre oncle passait à la maison chaque trois mois, avec des sachets pleins de billets. Il habitait dans un quartier délabré, mais depuis un mois, il avait aménagé dans sa nouvelle maison et nous avait invités à y faire un tour.

— Voilà ce que mes intérêts m’ont permis de construire en à peine 18 mois, disait-il avec toute l'assurance et la prétention caractérisant les nouveaux riches. Sa nouvelle maison avait cinq (5) chambres deux (2) grands salons, de l'air conditionné partout, des espaces verts et l'incontournable piscine qui, ici était encore en finition.

— Et c’est ce placement d'argent qui t’a permis de faire tout ça ? Demanda mon père. Tu es sûr que tu ne fais pas un trafic louche, la drogue ou autre ? Pour toute réponse, mon oncle ricana un bout de temps, avant de commencer à fouiller machinalement dans son sac pour en sortir des carnets et autres reçus. — Regarde ! Dit-il. Ce sont les papiers, mes carnets de compte, mes reçus de versements, mais si tu veux, je t'amène là-bas et tu verras de tes propres yeux. Ce jour, nous avions quitté chez notre oncle avec la certitude d'avoir en nos mains la combinaison gagnante du loto. Dès le lendemain, mon père fut accompagné par mon oncle dans les bureaux de ladite société, faiseuse de miracles. Ils avaient passé plus d'une heure à faire la queue, tellement il y avait du monde. Toutes les couches de la société étaient là : de la simple ménagère aux menuisiers, les soudeurs, les mécaniciens, des chefs maçons, des commerçants, des fonctionnaires, des cadres de l'administration dont des douaniers, des comptables de grandes sociétés d'État et même des banquiers. Tout le monde profitait de l'occasion pour s'en mettre plein les poches. Mon père avait pris des renseignements chez quelques amis rencontrés sur place. Il avait eu plus de renseignements qu’il n'en demandait. Tout le monde faisait l'éloge de la société. Le peu de méfiance qui restait à mon père s'était dissipé totalement. Elle avait disparu comme le sel dans la sauce. Convaincu, avant même d'atteindre les bureaux de la société, mon père quitta la file d'attente :

— Je crois bien aux miracles de Jésus sans les avoir vus, alors que là… — Laisse-moi t'expliquer encore, dit mon oncle avant de se lancer dans des explications, chiffres à l'appui. Alors, le dépôt minimum est de 60.000 frcs. Cette somme te rapporte 20.000 francs comme intérêt tous les trois mois. Mais là où cela devient intéressant, c'est quand tu mises beaucoup. Si tu mises 10, 100 ou 1000 fois ce dépôt minimum, le gain sera tout autant multiplié. — Toi, tu as misé combien ? Demanda mon père à mon oncle. — Je suis allé doucement au début parce que j'avais un peu d'appréhension, expliqua mon oncle, mais, après avoir eu plusieurs gains sans le moindre problème, sans la moindre rumeur alarmante, la confiance s’est définitivement installée en moi. Actuellement j'ai un capital de 120 millions répartis en plusieurs lots. — Quoi ? Comment a-t-il pu réuni une telle somme ? — C'est très simple, j'ai vendu ma maison, tous mes terrains et hypothéqué ma nouvelle maison auprès de la banque, tout ça, après les gains déjà perçus, le chiffre est monté très vite. Moi-même j'ai été surpris, je ne savais pas qu'un jour, j’allais faire partie de la haute société. Mon père, en remontant dans sa voiture où je l’attendais sagement, était plein d'espoir, heureux comme un poisson dans l'eau. Il m’avait toujours promis une moto, sans jamais oser me l'acheter. Si cette affaire se concrétisait, je pouvais désormais rêver d'une petite voiture. Mais malgré son enthousiasme et les explications convaincantes qu’il avait eues, mon père hésitait encore jusqu'au jour où mon oncle débarqua chez nous à nouveau avec son sac qu'il déposa sur la table. Il ressortit des liasses de billets et tendit à mon père 500 000 frcs. — Tiens pour ton week-end, je viens de recevoir 20 millions comme gain et j’en recevrai encore petit à petit jusqu'à atteindre encore ce montant dans un mois. Mon père se précipita sur le sac, à la vue du contenu, il s’extasia : — Ça y est ! Je vais le faire ! Mais dis-moi, ce n’est pas prudent de se trimbaler avec autant d'argent ! — C'est pour toi que je prends ce risque. Je voulais te le montrer, pour que tu voies de tes propres yeux, et pour qu'enfin tu te décides à en profiter aussi. — Dès ce soir même, j'appelle les démarcheurs pour relancer la vente de tous mes terrains, je crois qu’avec ça et mon épargne à la banque qui ne me rapporte que des broutilles, je serai en mesure de réunir un bon capital pour des gains conséquents. Dès le lendemain, toujours méfiant, à croire que ce sont des gênes de méfiance qu'il a eu en premier dès sa conception, mon père prit d'autres renseignements chez d'autres personnes, elles disaient toutes les mêmes choses : — Tu es encore à ce niveau toi ? Tu es un retard mon cher. C'est Dieu lui-même en personne qui nous a envoyé ce service ; tu n'as pas vu les dirigeants de la structure avec des ministres à la télé ? Lui demanda Éric, son ami d'enfance, le plus méfiant de tous.

Mon père avait raccroché, le sourire aux lèvres, il regrettait d'avoir mis autant de temps pour se décider. Dès la semaine suivante, il avait presque fini de vendre ses terrains, avant de brader notre deuxième maison qu'il a eue en héritage de son père dans laquelle il y avait des locataires. En peu de temps, mon père avait réuni 65 millions. La plupart des terrains avaient été bradés, vendus à moitié du prix du marché. Mon père se frottait les mains, il disait qu’il avait désormais de quoi combler ces manques à gagner. Je me demandais comment il avait pu réunir cette somme si les terrains avaient été bradés. Cela m’intriguait. Le jour du dépôt était un lundi, mon père fit un tour rapide à l'Église pour prier avant d’aller faire son versement. Commencèrent alors trois mois d'attente. Mais comme lui avaient dit ses amis, mon oncle et tous ceux qu’il avait contactés, il n'y avait rien d’inquiétant ; tous les clients étaient en joie. On n'avait plus besoin d'une raison particulière pour faire la fête. Les gens étaient heureux, la plupart avaient réglé leurs problèmes, ceux qui avaient encore des problèmes attendaient avec sérénité et confiance d'avoir des gains successifs pour bouter définitivement hors de leur vie les problèmes liés à l'argent. Les trois mois venaient de s'écouler, mon père se rendit à l’agence où il avait fait son dépôt avec un peu d'appréhension. Je l'avais accompagné encore ce jour-là, mais comme la première fois, il m'a dit de l'attendre dans la voiture. Il y avait toujours autant de monde. Après une heure, quand je le vis ressortir, j'étais inquiet, il n'avait pas le moindre sac sur lui. Mort d’inquiétude, j'attendis qu’il s’asseye derrière le volant avant de lui demander : — Qu'est-ce qui s'est passé papa ? Mais il ne disait rien, comme s’il avait perdu l'usage de la parole. Ils ne t’ont pas payé Papa ? Où est l'argent ? — Fiston, appelle ta mère et dis-lui que nous allons dîner ce soir dans un grand restaurant… — Papa, tu dois prendre 20 millions, je ne les vois pas sur toi. Où est passé cet argent ? — Arrête de t’inquiéter, fiston. L'argent est là, bien au chaud, j'ai eu mes 20 millions comme prévu, mais j'ai préféré augmenter le capital, j'avais déposé 18 millions et gardé que 2 millions sur moi. La machine de la richesse est définitivement lancée. Tu peux désormais oublier ta fichue moto, je pourrais même t’acheter une voiture, tu sais. Alors qu'est-ce que tu en dis, hein fiston ? Je regardais mon père, plein d’espoirs, nous avions désormais à l'instar des autres, le chemin tout tracé pour des lendemains meilleurs. J'appelai maman pour lui parler du programme du restaurant. Elle avait su immédiatement pourquoi et était très contente, mais arrivés à la maison, n'ayant pas vu les millions que papa devrait rapporter, elle explosa : — Tu n'aurais pas dû remiser ce que tu as gagné, si je peux l’appeler ainsi. Tu as pratiquement tout vendu déjà pour constituer ce capital, nous n'avons plus rien et tu sembles l'oublier. Je trouve que tu nous as fait prendre trop de risques par la façon dont tu gères cette affaire. Si tel est que nous allons être riches, autant que nous le soyons dans notre poche et non dans les caisses de cette société qui ne me dit rien qui vaille. — Arrête de te morfondre, intervient mon père, j’ai fait mes enquêtes avant de me jeter à l'eau, je ne veux plus être celui qui est passé à côté de la fortune, alors que les autres s’en mettent plein la poche. Je ne veux plus qu'on me raconte l'histoire, je veux la vivre.

— Tu as peut-être fait des enquêtes, mais on ne t’a pas donné les bons renseignements. On t’a raconté que ce que tu voulais entendre. Depuis que tu as vendu l’autre maison, je n'arrête pas de m’inquiéter et si je n'avais rien dit depuis tout ce temps, c’est parce que je te faisais confiance, sans compter le fait que je n'avais pas d'autres informations à part celles que me dictait le bon sens qui était évidemment contraire à ton envie subite de t’enrichir. Il y a deux semaines, j'avais rencontré une dame au marché, elle travaille à la banque. Elle parlait de cette affaire avec une autre et j'ai poussé ma curiosité pour en savoir davantage. D'après elle, aucune structure financière sérieuse ne donne de tels gains. Les caisses d'épargne n'offrent pas au-delà de 5 % l’an. Mais cette mystérieuse structure donne des intérêts avoisinant les 33% tous les trois mois, ce qui présente au-delà de 130 % l’an. C'est fou ça !

— Maintenant que tu le dis… — Je n'ai pas fini. Quel business donne autant de bénéfices ? Renchérit maman. Si eux, ils donnent de tels gains à leurs clients sans parler de leurs propres bénéfices, le loyer des bureaux, les salaires du personnel ! Non, mais c'est hallucinant ! C'est eux-mêmes qui fabriquent les billets de banque ou quoi ? Ah, j’oubliais, et les impôts dans tout ça ? — Écoute, moi je n'ai nullement envie de savoir quelles affaires ces gens-là font avec nos épargnes, mais je te signale que ça fait des années que cette affaire fait des heureux et des nouveaux riches dont je compte bien faire partie désormais. Tu as sans doute oublié qu'on voit les dirigeants de cette structure à la télé ou encore à des œuvres caritatives marquées par la présence des ministres. Et puis d’ailleurs, pourquoi c'est maintenant que tu me dis tout ça ? — Je veux que tu sois complètement conscient des risques que tu nous fais prendre. Je priais pour que tu commences par récolter les gains afin de nous mettre vraiment à l'abri du besoin, je ne m'attendais pas du tout à ce que tu leur reverses illico ce que tu venais à peine de gagner, si toutefois, on peut appeler ça gagner. Mon père avait raison, ce n'était pas le moment d'être pessimiste. Pour la première fois, nous allions tous dans un grand restaurant avec des couverts dignes de ce nom malgré la mauvaise humeur et le manque d'appétit de maman. Trois jours après, mes parents allèrent visiter le quartier où mon père comptait acheter le nouveau terrain pour la construction de notre nouvelle maison ou chacun pourra désormais avoir sa chambre. Pour mon père, il fallait désormais rassurer maman en mettant en place la stratégie des dépenses pour ne pas dilapider l'argent pour autre chose s’il venait. Il continuait de prendre des renseignements pour se tenir informé de la bonne marche de la société miraculeuse.

D’autres structures avaient ouvert leurs portes avec des gains encore plus élevés. Loin d’alerter et d’éveiller la méfiance des populations, les clients attirés par les nouveaux gains records avaient commencé à affluer. Des bagarres éclataient très souvent pour des questions de place dans la file d’attente. Des personnes d’apparence pauvre, des gens qui disaient manquer du minimum pour vivre, venaient déposer des sommes inimaginables. La folie du gain facile avait définitivement gagné tout le pays. Tout le monde ou presque était directement ou indirectement client de ces structures d’un genre nouveau. Certains gros clients ne voulant pas se faire voir, envoyaient leurs hommes de confiance faire les dépôts et récolter les gains pour leurs comptes, comme s’ils faisaient quelque chose de répréhensible. Mon oncle avait fini la piscine de sa maison et l’avait intégrée. Il nous avait invités un soir, comme il dit, « à goûter aux délices de l'opulence avant de nous y mettre à notre tour ». Ce soir mon oncle avait invité un cuisinier spécial pour préparer toutes sortes de mets. Il y avait aussi d'autres invités, tous partisans et adeptes du business du moment. La plupart avaient amené de grosses voitures qu'ils avaient achetées après avoir construit de belles maisons dans les quartiers les plus huppés de la capitale. J'étais moi-même convaincu que d'ici peu de temps, nous allions commencer à vivre autrement, nous allions dire définitivement adieu à la pauvreté, à l’incertitude. Il m'arrivait même de parcourir les boutiques pour voir quelle taille d’écrans plats on allait acheter pour notre future maison, quel frigo correspondrait désormais le mieux à notre statut, sûrement un grand et double battant américain, les salons en cuir, (oui on en aura plusieurs) la chaîne hi-fi et home cinéma de très grande marque (surtout pas de chinoiserie), on avait pratiquement tout le plan de la nouvelle maison avec son aménagement intérieur dans nos têtes, je me voyais déjà métamorphosé, en costume cravate au volant de ma nouvelle voiture en train de klaxonner pour que le gardien m’ouvre le portail après avoir joué les gosses de riche en ville. Je me voyais aussi les week-ends, autour de « notre » piscine avec quelques amis et surtout les nouvelles copines en bikini. Le temps perdu dans la galère, nous allons le rattraper et le vivre autrement. Les gens parleront bientôt de nous. Ils nous envieront. La richesse nous faisait des clins d’œil et nous la lorgnions en retour. Tout était prêt, le reste n'était qu'une question de temps. Pendant le repas chez mon oncle ce soir, tous les invités présents regardaient mon père comme s’il venait d’une autre planète. Beaucoup lui reprochaient sa méfiance mal placée et son manque du sens des affaires. Il y en avait qui avaient sorti leurs smartphones pour montrer à mon père leurs réalisations : des maisons, des immeubles mis en location, des maitresses qu’ils ont eu le courage de convertir en deuxièmes ou troisièmes épouses. Décidément, l’argent donne des ailes. Chaque invité avait bu une bouteille de vin et il en restait encore dans une bassine avec des glaçons. Ils étaient dans leur monde. Le monde des nouveaux riches. Cela faisait dix semaines que mon père avait augmenté son capital, il restait environ deux semaines pour avoir les nouveaux gains et cette fois, pas question de remiser, nous avions une nouvelle vie à vivre. Je sortis ce jeudi vers 22 heures et quart, après les cours du soir, quand j'entendis quelques copains étudiants comme moi commencèrent à parler de la fameuse société faiseuse de miracles. J'appris par eux que la société avait depuis deux jours des difficultés à payer ses clients. Je ne les ai pas crus, mon père aurait été au courant parce qu'il prenait tous les jours des renseignements. Pour moi, ça ne pouvait être que des rumeurs. Quand je rentrai à la maison, tout était pourtant normal, mais le lendemain et pendant tout le week-end, c’était la folie, que dis-je, le séisme ! Certaines agences avaient fermé déjà leurs portes à cause du mécontentement de leurs clients qui attendaient d’être payés. Comme un effet domino, toutes les autres structures avaient commencé par fermer leurs portes. Ce qui était une bonne affaire se révélait comme un piège qui se refermait sur ses proies. Mon père avait été finalement informé et avait appelé ses amis pour s’informer davantage, ceux-là mêmes qui l'encourageaient hier. « Ce n'est qu'une rumeur » disaient les uns. « Ce n'est qu'un contretemps » disait les autres. Mais quelques jours après, vint la date où mon père devrait recevoir ses gains. Il se présenta à l'agence et ce qu'il refusait de croire le frappa de plein fouet. C'était la désolation. Tous les visages, avec les mines autrefois joyeuses dans les files d'attente, avaient désormais celles des jours d’enterrement dans le chaos qui régnait. Beaucoup pleuraient et comme par hasard, d'autres, aidés par Google et autre wikipédia, avaient retrouvé leur intelligence et leur bon sens, expliquant même que « ça ne pouvait qu’être du faux ». Ils sont pourtant clients avec des carnets dans la main. Certains avaient commencé à être subitement conscients que ça ne pouvait que capoter.

Ce que je ne comprenais pas était cette façon de certaines personnes de vivre dans la misère alors qu’ils avaient de quoi mener une vie descente. Je venais de voir un de nos voisins qui avait toujours du mal à payer les frais de scolarité de ses enfants, mais avait réussi à placer plusieurs millions, et était aux bords de la crise de nerfs. Une autre dame en larmes expliquait que c’était l’argent que son mari, « sans papiers en France » envoyait pour leur chantier qu’elle plaçait espérant récolter gros. Elle avait commencé à parler seule, certainement le début de la folie. Un autre monsieur, comptable dans une grosse société se demandait à répétition et à haute voix « Par où je vais passer » Il avait frauduleusement placé l’argent de la société dont il gérait la comptabilité — Attendez un peu, vous voulez dire que je ne serai même pas remboursé ? Demanda papa à un monsieur qui paraissait comprendre la situation mieux que quiconque. — Cela m’étonnerait, répondit l’inconnu, c’est des escrocs. En fait, l’argent des nouveaux clients sert à payer les anciens et il faut qu’il y ait de plus en plus de nouveaux clients pour que le système continue de tourner. On appelle cela la Pyramide de Ponzi. Le système peut s’écrouler si un nombre important de gros clients retirent leurs avoirs et s’il n’y a plus assez de liquidité, tout s’écroule. Ou alors, ils ont estimé qu’ils ont suffisamment amassé et ils arrêtent et ferment boutique comme c’est le cas ici. Vous aurez dans le meilleur des cas, des broutilles comme remboursements. J’avais accompagné une fois encore mon père, mais cette fois-ci, je n’attendais pas sagement dans la voiture, je voulais voir si l’espoir était toujours permis, si la voiture que papa devrait m’acheter était toujours d’actualité. Mais ce qui se passait était à la misère ce qu’étaient les nuages au déluge. J’évitais le regard de mon père. Il était 16 heures et demie, le soleil déclinait, il ne faisait plus aussi chaud comme à midi. Quand j’ose enfin jeter un coup d’œil sur le visage de mon père, il y avait de l’angoisse. Mais ce qui me frappa le plus, c’était cette abondance de sueur sur son visage et sa chemise déjà trempée. Après les explications plus que claires de l’inconnu, à chaque fois que mon père ouvrait la bouche pour poser une question, aucun son ne sortait, comme si sa langue était morte. Subitement, comme s’il avait vu une connaissance qu’il voulait saluer, il se mit à marcher droit devant lui, dans la rue opposée à celle où on était, je ne voyais pourtant personne en vue qu’il pourrait connaitre et pour ne pas le contrarier davantage, je ne lui demandai rien. Mais après dix minutes, mon père était rentré dans une autre rue, je l’appelai sur son téléphone portable pour savoir où il allait, mais il ne décrocha pas. Je courus à sa suite et une fois dans la rue où il était rentré, je le vis, il était à terre. Je me précipitai et lui demandai ce qui n’allait pas. Pour toute réponse, il me regarda avec des yeux vitreux, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Mon père faisait visiblement une crise. J’appelai ma mère au secours qui débarqua quelques minutes plus tard et mon père fut transporté au grand hôpital où il rentra dans un coma sans explications. Je ne saurais dire si c’était de l’incompétence ou l’absence de conscience professionnelle caractérisant le personnel soignant, mais aucun médecin n’arrivait à nous dire exactement ce qu’avait mon père dont l’état se dégradait chaque heure. On nous demandait déjà des sommes folles pour maintenir papa sous assistance respiratoire, sommes que nous n’avions pas. Nous avions fait une réunion avec notre mère pour évaluer ce qui nous restait. Pas grand-chose. Au bout de trois jours, les différents appareils qui maintenaient mon père en vie furent débranchés, il fut déclaré mort et enterré le lendemain dans l’indifférence totale avec un cercueil bon marché, sans la moindre cérémonie. Mon père n’avait pas la moindre maladie qui lui était connue. La seule chose qui l’avait tué était cette brutale et inattendue nouvelle que son cœur n’avait sans doute pas supportée. Ce que les plus optimistes considéraient comme une rumeur s’était confirmée comme la plus grande escroquerie de tous les temps à l’échelle nationale. L’épargne de toute une nation était partie en fumée, emportée par une bande d’escrocs ayant à sa tête un forgeron entre autres. Une insulte pour une nation jadis Quartier Latin de l’Afrique. L'intelligence avait déserté le forum. La presse s’empara enfin de l’affaire et plusieurs unes des journaux en faisaient leurs choux gras. Le gouvernement monta au créneau avec à sa tête le ministre de l'Intérieur qui appela les populations « au calme et à la sérénité » Un mois après la mort de papa, un notaire avait convoqué ma mère pour lui dire que mon père avait vendu notre maison où nous vivons avec une clause que le nouveau propriétaire le laisse y vivre encore six mois, le temps qu’il trouve une autre maison et déménager. — Eh bien, Mme, je sais que votre mari n’est plus, je suis vraiment désolé et je vous présente toutes mes condoléances. Mais les affaires restent les affaires. Voici les papiers que votre mari avait signés et voici un exemplaire de la photocopie du chèque qui lui avait été fait, vous pouvez vérifier auprès de la banque. Ma mère ne dit rien. Nul ne peut nier l’évidence. Le notaire eut même la gentillesse de faire patienter le nouveau propriétaire, sans doute, avait-il remarqué chez ma mère la douleur encore vive de la disparition de notre père. Mais deux jours plus tard, c’était un autre notaire qui venait à la charge pour la même maison, comme quoi elle avait servi de garantie pour un prêt accordé à notre père par la banque dont ce notaire défendait les intérêts. Trois autres institutions de micro finance vinrent aussi à la charge pour la même maison. Cela nous avait toujours étonnés du montant que notre père avait réussi à réunir en peu de temps, car malgré la vente de tous ses biens, il ne pouvait avoir cette somme. La maison avait été vendue à notre insu, mais avant, elle avait été utilisée pour servir de garantie ailleurs, et tout ça avait été possible grâce à la complicité de quelques personnes dont je tais la profession, mais qui, j’en suis sûr se reconnaîtront aisément. Quand la magouille s’allie à la délinquance financière et astucieuse orchestrée par des insoupçonnables, grisés par la manne financière des gains…

Comment une maison hypothéquée auprès d’une banque peut-elle être vendue sans que l’hypothèque ne soit levée ? Comment cette même maison peut-elle servir de garantie auprès de trois autres institutions de crédit ? Nous n’avions même pas le temps de réfléchir à cette question avant de déménager dans un bidonville, en périphérie de la ville, sans eau courante ni toilette et encore moins l’électricité où plusieurs autres familles balayées par le même tsunami financier avaient commencé à se disputer des portions de terrains municipaux. Mon père avait eu une ambition démesurée pour laquelle le rôle de garde-fou de ma mère avait été tardif. Je n’avais rien fait non plus pour freiner sa cupidité, encouragée par l’effectivité des gains, trop tentant. Nous étions venus trop tard dans un monde en déclin. Et ceux qui étaient sensés entendre le tic-tac de cette bombe depuis sa conception ne prévinrent qu’après son explosion. Trop tard. Ma mère, malgré le deuil, entama un commerce de céréales avec le peu d’argent que Papa avait omis de jouer à son poker. L’espoir de quitter ce bidonville était au bout de l’effort dans ce commerce. Nous n’avons plus jamais revu notre richissime oncle. Son téléphone ne marche plus et il n’ouvre plus son portail à personne. Il avait aussi tout perdu en voulant toujours gagner plus. Il avait remisé tous ses gains, juste avant le crash. Il se barricade désormais chez lui, en attendant la visite des huissiers mandatés par la banque. Aujourd’hui, je m’en sors grâce à mon travail avec lequel j’aide mes frères. J’ai finalement acheté ma moto et je rêve toujours de ma 1ère voiture que j’achèterai certainement un jour, grâce à mes efforts dans le travail, car chaque franc, chaque naïra, chaque dirham, chaque euro, chaque dollar que je gagnerai seront toujours à la sueur de mon front. Il n’y a point de raccourci pour la fortune. Seul le travail est libérateur. Outre le caractère extraordinaire de cette histoire, de nombreuses questions restent sans réponses. 1-Comment un forgeron peut-il organiser une escroquerie de cette nature à l’échelle nationale dans un pays dirigé par des financiers de renom ? 2-Comment les services de renseignements, qu’ils soient de la présidence, du ministère de l’Intérieur ou de la défense n’ont-ils rien vu pour alerter qui de droit ? 3- Comment l’affaire Madoff éclatée en 2008 avec son impact international n’a-t-il pas mis la puce à l’oreille des autorités pour qu’elles fassent le rapprochement et arrêter la saignée, limiter les dégâts pendant qu’il était encore temps ? 4- Comment des manifestations de propagande organisées çà et là par ces mêmes escrocs pour acclamer le régime en place, et financées de toute évidence par l’argent des victimes n’a-t-il pas attiré l’attention des autorités ? 5- Comment a-t-on pu délivrer un permis de port d’arme aux escrocs, et comment a-t-on pu leur octroyer des gardes du corps, fonctionnaires d’état, sans savoir qui ils sont, ce qu’ils font ? 6- Pour quoi l’état s’arroge-t-il le droit de s’auto saisir de cette affaire, au lieu de laisser la justice faire son travail, comme sous d’autres cieux ? Dans un pays "tiers-mondiste" plongé au 2/3 dans l’informel, où l’ignorance des populations dopée par l’analphabétisme et couvée par la pauvreté, avec un système de gouvernance gangrené par la corruption où des autorités sans scrupules, dont la naïveté n’a d’égale que l’inexpérience, l’escroquerie de cette nature était en terrain favorable et conquis d’avance. Tels de dangereux virus, les escrocs ont pris possession du pays devenu un organisme dont le système immunitaire était complaisant, passif et complice. Aucune autorité n’avait crié assez haut ou assez fort pour alerter les pauvres populations, comme si elles avaient oublié leur rôle, comme si elles étaient subitement frappées d’autisme et abruties par on ne sait quoi. Pire, on voyait certaines dans les manifestations aux côtés des escrocs, donnant ainsi crédit et assurance à leurs activités illégales. Tout le monde était coupable et responsable à commencer par les victimes elles-mêmes dont l’avidité et la cupidité n’avaient d’égale que l’inconséquence dont ils avaient fait preuve. Les gouvernants n’avaient que le rôle du médecin après la mort, après avoir joué avec brio celui du chien de garde qui n’aboie pas, qui ne mord pas, mais qui ouvre et tient la porte aux voleurs. Les promesses de remboursements prônés par le pouvoir à grand renfort de communications, faisant déplacer les pauvres victimes pour se faire recenser, n’étaient que mensonges, cynisme et cruauté. Une chose est certaine, passés du rêve au cauchemar, beaucoup de foyers ont été dévastés, certains ont tout perdu et se sont retrouvés sur la paille. Le stresse, l’angoisse et la peur du lendemain ont désormais balayé d’un revers de main les rêves, faisant exploser le nombre de victimes de maladies cardio-vasculaires, d’affections mentales graves, d’hypertension artérielle, de diabète, de divorces… L’euphorie, l’espoir et les fantasmes ont désormais fait place aux larmes, à la sueur et au sang. La misère ayant repris ses droits avec férocité, les victimes, sans secours ni recours, meurent en silence. Le président populiste Boni Yayi, reste le principal bénéficiaire de cette affaire et jusque-là n’a pu rien faire pour soulager sa population, bien au contraire. Les responsables au temps de leur fausse gloire finançaient toutes sortes de propagandes pour lui, l’argent des épargnants alimentait les marches de soutien et de remerciement dont le président raffolait. Le populisme avait bander les yeux de Yayi désormais isolé de toute réalité que vit le bas peuple. Mieux, comment l’état a pu saisir les fonds et les biens des responsables sans rembourser ne serait-ce que les petits épargnants ? Où sont passés les milliards récoltés ? Ou alors à quoi a servi cet argent ? Le président Boni Yayi devrait répondre avant de quitter le pouvoir.

Je ne veux même pas croire que Yayi Boni ait eu l’indécence de détourner le minime espoir des « petits gens » en passant sous silence l’utilisation qui est faite de leur argent ; encore que l’inélégance et la goujaterie caractérisant l’homme et son pouvoir n’ont point de limite. Rien ne devrait donc étonner. Je n’ai point de leçons à donner, encore moins d’accusations à porter. Chacun en tirera les siennes en toute connaissance de cause. Mais, il y a pire. Et c’est ce qui motive l’édition de cette histoire. Si dans une vingtaine ou une trentaine d’années, un autre piège de même nature est tendu, dans les mêmes conditions, il attrapera malheureusement des proies encore plus nombreuses; pas parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets, mais parce que nous avons la mémoire trop courte.

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